L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique. Rapport public thématique. Cour des Comptes. 7 Juillet 2011

Dans son rapport publié le 7 Juillet 2011, la Cour des Comptes analyse à la page 35, la lutte contre le trafic de stupéfiants :

“1 – Une priorité récente des Directions Départementales de la Sécurité Publique (DDSP)

Jusqu’en 2010, les DDSP n’ont pas été fortement impliquées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants dont il paraît pourtant acquis de longue date qu’il alimente diverses formes de délinquance, notamment dans les quartiers réputés sensibles. Dans les instructions annuelles de la Direction Centrale de la Sécurité Publique (DCSP), ce domaine d’action n’a pas été qualifié d’objectif prioritaire. … … …

Ainsi, de 2003 à 2006, l’instruction annuelle du DCSP aux DDSP a désigné, en tant que priorités opérationnelles, selon les années, la lutte contre les violences urbaines, celle contre l’insécurité routière ou la prévention des violences aux personnes.

L’enjeu n’est vraiment apparu qu’en 2007 dans l’instruction du DCSP : « Le démantèlement des trafics de stupéfiants et des réseaux qui alimentent l’économie souterraine de certains quartiers est également un objectif qui doit s’appuyer sur un travail transversal associant les GIR».

En 2008, la lutte contre les trafics de stupéfiants est réapparue, sous la rubrique « divers », à la fin de l’instruction annuelle du DCSP demandant aux DDSP de poursuivre leur « effort dans (…) les trafics et usages de stupéfiants, notamment des infractions à usage local, c’est-à-dire des trafics à l’échelle des secteurs et des quartiers ». Un objectif de progression de 5 % des IRAS leur a été fixé.

Ce sujet a été traité en 2009 comme un enjeu non prioritaire. A la fin de son instruction annuelle, le DCSP a ajouté : « En dehors de ces objectifs principaux, l’effort portera dans la lutte contre le trafic de produits stupéfiants et l’économie souterraine avec une progression de + 10 % des affaires de revente réalisées et une collaboration plus étroite avec les GIR ».

Il a fallu attendre l’année 2010 pour que la lutte contre le trafic de produits stupéfiants soit érigée en objectif prioritaire dans l’instruction annuelle du DCSP. Elle devait s’orienter principalement vers la répression des micro-réseaux de distribution de drogue et l’organisation de contrôles renforcés des établissements ou des lieux festifs (établissement de nuit, lieux de « rave-party »). L’identification des revendeurs devait être privilégiée par rapport à l’interpellation des simples consommateurs.

2 – Le pilotage statistique de la lutte contre le trafic de stupéfiants

L’action des services de sécurité publique au cours des dernières années en matière de produits stupéfiants a été marquée par la priorité accordée, dans une approche essentiellement statistique, à la répression de la consommation. Les indicateurs de résultats suivis dans les DDSP ont été le nombre de faits constatés et accessoirement de personnes mises en cause et de garde-à-vue prononcées.
Pour améliorer leurs résultats quantitatifs notamment en matière d’élucidation, les services ont accordé une priorité croissante à la constatation de l’infraction la moins lourde, l’usage simple de produits stupéfiants sans revente, au détriment de la recherche et de l’interpellation des auteurs d’usage-revente et indirectement du démantèlement des réseaux de trafiquants.”
… … …

Suivent, à la page 37, la conclusion et les recommandations :

“Le pilotage des services territoriaux de la DCSP est assuré au moyen d’objectifs chiffrés assignés à leurs responsables, objectifs de plus en plus nombreux et précis au fil des années, complétés par une batterie de leviers d’action pour les atteindre. La marge d’initiative et la capacité d’arbitrage des DDSP sont donc restreintes. La participation de leurs services à la lutte contre le trafic de produits stupéfiants, érigée tardivement au rang d’objectif prioritaire, illustre les travers de ce pilotage statistique. Elle a en effet été orientée principalement vers l’interpellation des consommateurs sans amélioration significative des résultats en matière de revente ou de trafics. Elle a joué le rôle de variable d’ajustement pour rehausser le taux moyen d’élucidation.
La détermination des objectifs annuels assignés à la gendarmerie départementale présente des différences notables avec le dispositif appliqué dans les services de la DCSP, qui tiennent à l’existence d’un échelon régional de déconcentration de la gestion et de coordination de l’emploi des unités. La relation entre les résultats d’activité attendus et l’évolution des moyens des forces est davantage explicitée.
La mise en cohérence de l’action locale des services de l’Etat engagés dans la lutte contre la délinquance est assurée par le préfet et le procureur de la République qui animent ensemble plusieurs instances de coordination. Leur tâche est délicate compte tenu du défaut d’objectifs communs assignés par les ministères de l’intérieur et de la justice, du manque de maîtrise des moyens budgétaires et humains à l’échelon local et de l’absence de système d’information mettant en relation les faits élucidés par les services de police ou de gendarmerie et le traitement des affaires « poursuivables » par l’autorité judiciaire.
Les statistiques du ministère de l’intérieur sur la délinquance enregistrée par ses services montrent une baisse sensible des atteintes aux biens, que les enquêtes de « victimation » conduite par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) conduisent à relativiser, et une hausse symétrique des atteintes aux personnes. De manière générale, la DGPN et la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN) sont rarement en mesure de relier les évolutions statistiques des principales catégories de délits aux actions engagées par les forces de sécurité. L’abandon en 2010 des agrégats de délinquance générale et de délinquance de proximité qui, en dépit de leur manque de pertinence, étaient depuis 2002 les indicateurs-clés retenus pour le pilotage des services territoriaux, constitue un progrès. Toutefois, le système d’information utilisé reste basé sur l’état 4001 qui comporte de nombreuses faiblesses intrinsèques.
En conséquence, en vue d’améliorer le pilotage des services territoriaux chargés de la sécurité publique, la Cour recommande les évolutions suivantes :
– rapprocher le système d’enregistrement de la délinquance utilisé par le ministère de l’intérieur de l’appareil statistique du ministère de la justice afin d’établir des liens entre l’élucidation des délits constatés par les services de police et les unités de gendarmerie et leur traitement par les services judiciaires ;
– poursuivre l’adaptation du système de mesure de la délinquance en comptabilisant les délits sur le lieu de leur commission et non de leur enregistrement ;
– concernant l’évolution de la délinquance, limiter les objectifs chiffrés assignés aux responsables territoriaux à des agrégats statistiques ou des catégories de délits homogènes et cohérents ;
– développer en collaboration avec l’ONDRP des analyses sur la relation entre l’évolution statistique des faits de délinquance et les actions des forces de sécurité.”

 

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